comme une série "D'Explosantes Fixes"
Il m'aura encore fallu un mois pour me remettre du choc ...
Tout d'abord, il faut parler du bel espace du Centre de l’image imprimée de la Louvière. Tout à fait surprenant et inattendu, la Louvière étant une ville étrangement plate qui ne laisse pas deviner une telle surface d'exposition, et pour l'estampe c'est merveilleux. Elle peut être présentée à l'égal des autres médiums artistiques et les propositions ambitieuses ne resteront plus dans les tiroirs....
Cette exposition présente une grande partie du travail de Christiane Baumgartner depuis une quinzaine d'année.
Il s'agit d'une exposition de xylographies: des gravures sur bois
La xylographie consiste à graver sur des plaques de bois à l'aide d'une gouge ou d'un burin.
vous gravez les futures parties blanches de votre estampe et par roulage d'encre, seront imprimées les parties non gravées.
Cette technique est à la fois simple et difficile.
Simple parce qu’il suffit de tracer au crayon, le dessin que vous voulez graver, en mettant en évidence ce qui sera blanc (creusé) de ce qui sera noir (non creusé).
Difficile parce que l'on ne peut pas corriger, c'est un travail sans remord. Cela nécessite de l'habileté, voire de la dextérité, et Christiane Baumgartner qui a suivi une formation de graveur de reproduction... en a.
Le problème du grand Format Cette technique est relativement économique et l'on peut envisager des grands formats . et même plus qu'envisager, Christiane Baumgarter territorialise ses estampes qui peuvent être un véritable champ opératoire, sur lesquelles elle peut s’exercer, un champ de manœuvres.
elle y met une contrainte formidable puisqu'il s'agit de creuser des sillons... analogie au champ sillonné comme l'a tellement bien photographié par mario Giacomelli
MARIO GIACOMELLI
Paesaggio 288, c. 1970
12 x 16 inch gelatin silver print
Le nombre d'estampes de grands formats est impressionnant.
C'est tellement rare un pareil engagement dans le domaine de l'estampe.... la plupart des artistes la pratique parce qu'un éditeur, un galiériste ou une institution, le leur demande et réalisent quelque chose qui ressemble à leur œuvre ne questionnant pas toujours l'estampe.
Il n'y avait guère que Robert Rauschenberg, Sigmar Polke, Nancy Spero ou Pierre Aleschinsky pour produire une telle surface imprimée "interrogeante", mais tous faisaient appel à des procédés rapides aux résultats quasi immédiats...Il faut vivre avec son temps et prendre le risque de n'être plus qu'une illustration, mais que ne ferait-on pas pour exister...
Alors on n'oublie pas les allemands comme Georg Baselitz ou Anselm Kiefer mais la puissance de feu, le primitivisme des techniques parfois à la tronçonneuse l'emporte aussi sur les questions de l'estampe, (l'empreinte par contact) pour le culturel.
Elle pose le problème de l'image comme modèle
Un vrai graveur dans la tradition française invente sur la plaque, il n'est pas "reproducteur"
pour lui il n'est pas question de reproduire un dessin ou une image, il crée.
en passant par l'interprétation de ses images Christiane baumgantner peut s'offrir la taille de ces interprétations et c'est là l'enjeu.
Imaginez accrocher sur un mur une gravure de Dürer, vous voyez l'aspect déplacé. un "Dürer" , on le sort d'un carton et on l'apprécie posé sur une table. En choisissant de présenter des estampes sur un mur, on se doit de réfléchir aux dimensions, on ne peut faire l'économie du spectateur.
Elle part d'images vidéo qu'elle agrandit et reproduit avec ce degré d'abstraction de la règle qu'elle applique sans faille. Entrer dans l'estampe, ce n'est pas la même chose que de prendre une loupe, c'est vrai que le corps est en jeu.
L'analogie entre les rayures de l'écran et le trait de la gouge ou du burin, finalement n'a que peu d'importance et je dirais même que ce n'est qu'un prétexte, c'est le temps qui surgit, le temps de la réalisation, qui apparait avec le geste qui ondule et qui ne se répète jamais , prendre conscience de l'instant unique que l'on vit à chaque fraction de seconde.
La modulation à la gouge ou au burin de l'artiste s'approche d'une forme de calligraphie presque "mandillionesque"..... "non faite de la main de l'homme" .....en donner l'impression.
Ces ondulations synchronisées....répétitives mais pas tout à fait.....sur des mètres linéaires.....imperturbablement....comme une absence du geste... une neutralité intensive...
parce que malgré tout, elle sculpte ses matrices..... le "sculpsit " du "graveur de reproduction" que l'on trouve indiqué en bas à droite sur les anciennes estampes .....
l'auteur du dessin le graveur de reproduction
Le travail numérique apparait dans la série rouge.
Dans la plupart de ses travaux, elle part d'images vidéos analogiques et non d'images numériques, seule la série "Deutscher Wald" aborde la composante du numérique et là elle neutralise encore plus son geste, elle y atteint une forme de pureté.
Ici Christiane nous montre un geste d'une humilité parfaite, ou le spectateur peut se concentrer sur le dessein. Aucun affect... et pourtant. On pourrait le reprocher.... ce n'est pas humain de se tenir à la règle.
Quelque chose de l'hyperréalisme
Que faisions nous face à une image hyperrréaliste, nous nous approchions pour voir, comme si ce que l'on nous donnait à voir ne suffisait pas. Comment c'est fait et là c'est la déception, parce qu'il y a rien à voir tout était dans le leurre.
Entrer dedans. (bien sûr quand c'est grand on ne peut pas faire autrement, mais combien restent à distance...)
Chuck Close en "tramant" ses images nous dévoile le leurre nous montre tout ce qui est possible de faire pour faire une image et quand on s'approche ce n'est plus une image, ce n'est plus un reflet, mais un nouvel univers.
Peut être regarder entre les lignes
la question du professionnalisme ou de l'amateurisme
La plupart des graveurs sont des amateurs, qui vit de la gravure à l'heure actuelle? Et cela est -il souhaitable?
Le professionnalisme contraint au résultat, et qui dit résultat dit assurer le résultat et donc plus de prises de risques sauf quand on est subventionné pour cela, mais cela existe t'il?
peut être "universitairement"? mais dans ce cas on tombe dans le pédagogisme c'est à dire de la fac "simulé" de la prise de risque, une prise de risque d'apprentissage qui se corrige parce que l'on connait la réponse.
Mais il reste la maitrise du métier et là on peut se permettre d'assurer puisqu'on maitrise et que l'on dépasse l'entendement de la plupart des spectateurs.
Christiane maitrise la gravure mais pas l'impression elle est quand même obligée de déléguer et là il faut qu'elle assure un tirage professionnel sinon elle n'aura aucune reception auprès de spécialistes et le fait qu'elle ait pu montrer son travail à Biella le lieu le plus traditionnel de l'estampe ou seule est accepté l'incise, montre l'aspect professionnel de son travail.
Ici tradition et art contemporain se rencontreraient, parce qu'ils sont réunis par la même rigueur, les uns s'intéresse à l'artiste "la démarche", "l'esprit", les autres au "travail", ce n'est qu'une question de point de vue. dans les deux cas il y a un tel investissement qu'ils sont sûrs du produit.
on pourrait presque reprocher aux écoles d'art contemporain de faire la même chose que dans les écoles artisanales, apprendre à faire un produit "commercialisable" une manière d'avoir les pieds sur terre, mais une manière d'être emprisonné dans un état d'esprit ou dans un savoir faire...il y en a que cela rassure. ,vous me direz c'est fou ce que m'évoque le travail de Christiane, mais tout autour de moi je vois la jalousie, elle peut le faire elle a les moyens ce n'est qu'une question d'échelle. incarnerait t'elle la rigueur allemande qui a répandue l’austérité sur l'Europe pour pouvoir s'enrichir sur les dettes de l'Europe du Sud, je viens d'entendre une émission sur le Portugal et comme l'art est le reflet de son temps de son pays ............. "mon dieu" je suis content de ne pas avoir cette rigueur mais juste de l'obstination
Peut elle continuer ainsi?
comme on dit à l'université "aucune lecture n'épuise une image" .... de plus nous risquons de réduire les intentions et en plus qualifier les estampes d'images, ici, serait réducteur, l'image n'est que le reflet du réel et Christiane va bien au-delà, je rejoins ce qu'à écrit Catherine de Braekeleer directrice du Centre dans ce catalogue.
"Christiane Baumgartner exhorte à remettre en question le regard, à ne rien prendre au premier degré, à chercher au delà de l’image et de l’effacement du sujet." (C. de Braekeleer in catalogue de l'exposition "white noise")
Une véritable estampe n'est pas une image parce que la matière y est présente et de ce fait elle n'est plus le reflet des choses, mais un étrange objet.
Quelques estampes approchent le sublime, "Trefer IV", "Deep Water", "Manhattan Transfer" , "Formation I et II".
Un seul défaut les verres protecteurs qui escamotent la matérialité de l'estampe, qui redevient une image c'est à dire un "reflet" . dommage que cela ne soit pas perçu. le visuel en réalité n'a plus tant d'importance, il faut avant tout protéger, présenter, faire sérieux et rien de tel qu'un cadre, il suffit de penser à la peinture de nature morte des flamands du XVIIème siècle pour percevoir le rôle d'un cadre, mais ici....
La fragilité du papier Kozo (fibre de mûrier) et sa frange irrégulière, estompe la juste mesure des impressions qui restent des constats d'empreintes retenues, mais vu la difficulté, il faut assurer ce ne peut pas être un enjeu.... sauf pour "Deep Water", je suis décidément amoureux de cette gravure ou de ce diptyque. (c'est incroyable comme c'est difficile à photographier ne serais ce que pour donner la notion d'échelle et la photographie réduit l'espace....
La plupart des glissements de l'impression sont plutôt dans le pas assez que dans le trop,
J'en parle ainsi parce que considère que l'impression reste malgré tout l'enjeu même si dans ce cas on sait ce que l'on va obtenir.
L'apport de la couleur dans "Deep Water" réintroduit le doute "oser" .
Il ne s'agit pas d'une couleur sortie du pot, mais de quelque chose de difficile à reproduire comme une émotion....une petite faille...
Et l'impression devient ressemblance...
C'est dans cette ressemblance que se situe l'invention et quand le constat noir et blanc s'évapore, peut s'initialiser une autre recherche...
Je ne parle que des grands formats.....en fait il faut que je revienne et pour reprendre une phrase de Denys Rioult "il n'y a rien à comprendre, il y a tout à apprendre" .... je n'ai plus qu'à me mettre au travail.
vous avez encore jusqu'à la mi-mai 2014 pour vous y rendre
et la question se repose.....
L'oeuvre et sa reproduction, un beau catalogue
Pas seulement celle immatérielle de l'Internet, mais aussi celle de l'édition. Ce n'est pas la multiplication de l'image qui pose problème mais bien sa fidélité impossible. le fameux à peu près d'avant le numérique est aussi en question avec le numérique quand il s'agit de reproduction et non d'original....parce qu'en effet une image numérique originale est multipliable à l'infini multipliant à l'infini son unicité. Mais dans le cas d'une reproduction nous sommes dans l'interprétation et dans une certaine mesure dans une autre originalité (l'image d'interprétation), une autre réalité, si bien que son catalogue devient une nouvelle œuvre originale. je n'avais jamais senti cela avec un catalogue, parce que dans le fond on est souvent déçu comme celui de Gustave doré par exemple ou encore celui de Vallotton.... ou encore on n'a pas vu l'exposition.....Mais ici le changement d'échelle et l'aspect graphique donnent autre chose.... encore une raison pour vous précipiter à cette exposition pour vous offrir ce superbe objet.
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